Cette nouvelle a pour impératif le thème: "voluptés"

 

2069 : L’odyssée sensuelle

 

 

 

 

" Si j’ai perdu mes jours dans la volupté, ah ! rendez les moi, grands dieux, pour les reperdre encore. "

La Mettrie (Julien Offroy de), l’Art de jouir.

 

 

 

Les lignes courbes qui suivent cette date entrée dans les anales plusieurs fois, fréquemment et profondément, sont l’exact reflet de mes pensées durant ces 365 jours.

1 janvier 2069

J’entame ce carnet de route par un positionnement phylogénétique.

Durant ces dix dernières années, tout s’est accéléré. Trois facteurs ont été déterminants. Le monde en était arrivé au point où la science accouchait d’à peu près n’importe quel rêve. Nous étions trop, sur trop peu de surface. L’histoire donnait raison à Berdiaeff(1) et bien que son énoncé renfermât les éléments d’une casusgénèse, il n’en fut rien.

Un tournant " inattendable " (je ne dis pas : improbable, car ce n’est pas un problème de raison mais bien de sentiment) au siècle passé fut pris, quand un capitaliste - plus riche que mille rois d’Egypte ayant dévalisés les gouvernements occidentaux - qui n’avait jamais eu ni enfant ni ami dans le but de n’avoir aucun regret de lègue, décida de pousser de toute sa richesse la conquête spatiale et évidement la terraformation. Ainsi, en moins de cinq ans, il fut donné à l’humanité un moteur capable de l'entraîner où bon lui semblait, capable de traverser une galaxie en ¼ d’heure et acceptant un carburant auto-régénérant.

Le prix n'étant que chiffres, les roboticiens et les biologistes (et les exos) fabriquèrent des outils capables de rendre viable une planète quelconque, en moins de trois mois et sans que l’homme n’ait seulement aperçu l'effort.

Donc pour la première fois dans son histoire, l’humanité regardait un univers tout à elle offert, dévoué, promis et bientôt des millions d'êtres humains envahirent la galaxie, suivis de milliards.

 

  1. " les utopies apparaissent comme bien plus réalisables qu’on ne le croyait autrefois. Et nous nous trouvons actuellement devant une question bien autrement angoissante : comment éviter leur réalisation définitive ? Berdiaeff épigraphe du " meilleur des mondes " d’Aldous huxley.

2 janvier

Mea culpa, une erreur de fort jolie taille s’est introduite (hier) dans l'œil de mon écrit. Ce capitaliste reconverti avait eu une exigence avant de mourir, la conquête spatiale devait être soumise à une règle :

" A chacun son utopie et l’espace qu’elle nécessite "

Cette règle est devenue l’axiome vital de notre société.

3 janvier

Mes valises sont prêtes et bien pleines. A moi les vents solaires et la volupté totale.

4 janvier

9H69 Astroport du Marquis de Sade. Mon voyage comporte sept étapes. Le programme est basé sur le principe que  la sensation de bonheur s’apprécie en tenant compte des sensations précédentes, c'est-à-dire que tout sera fait pour engendrer une progression délicieuse et véritable dans la volupté.

Ultime information utile à la compréhension de mon récit : au moment où je pars, plusieurs milliers de mondes ont déjà été terraformés et chaque création d’une nouvelle utopie est soumise au suffrage universel. Evidemment, lorsqu’il s’agit de choisir (universellement) la forme que prendra une utopie, le sexe (du moins au début de la colonisation) tient une place prépondérante.

Toutefois, mon premier choix de destination est hautement plus spirituel, il s’agit de l’utopie " plorare04/10/2067 ". Une utopie assez jeune où le plaisir est dans les larmes.

6 février

Voilà un mois que je pleure, si vous saviez comme cela est bon. Je pleure le matin au réveil pour avoir gâché ma jeunesse, perdu mon travail, et sur ma mortalité intrinsèque. A midi je pleure mes proches laissés à leur misère, tous ceux que je n’ai pu aider, les handicapés et la misère dans son ensemble. Le soir, je me frappe le corps entièrement avant de m’endormir en écoutant en boucle des requiems. Je pleure à vider mon corps de son eau et je jouis à chaque larme, tellement il est bon de se laisser aller sans contrainte ni retenue dans la douce et chaleureuse confusion de la peine mélancolique et éternelle.

8 février

Mon corps s’est vidé d’une part de son désir. Au suivant.

9 février.

C’est dans la nuit que je suis arrivé sur l’utopie nommé " Graal 25/12/2062 ". Ici tout n’est qu'ordre et abbé, absolution calme et religieuseté.

Je n’ai prévu que quinze jours pour cette utopie. La volupté ne s’atteint que dans la vigueur et l’esprit, occupons nous de ce dernier.

24 février

J’ai connu la sérénité de l'être qui connaît le créateur et l'aime, car celui-ci l’aime en retour. La volupté de savoir que tout a un sens, que rien n’est futile et vain, que la solitude n’existe pas.

25 février

Pour conclure, ma cure de l’esprit je me rends maintenant sur l’utopie nommée " Décibel Zéro 21/06/2065 ".

12 mars

Mes oreilles ne sont plus. Ici tout est atone (refrain ;-). Personne ne parle ni ne chante, pas d'animaux, les machines sont parfaitement silencieuses, le sol recouvert d’une moquette épaisse emprisonnant tout décibel récalcitrant. Mes journées sont remplies par l’écoute du néant ; après les plaintes et les lamentations, rien n’est meilleur. Pour mieux goutter cela, je lis beaucoup. J’ai multiplié les plaisirs en m’attaquant à la science des mathématiques. La jouissance d’un résultat rond et universel. Enfin quelques jeux de réflexion : la jouissance de la victoire ludo-stratégique…

14 mars

Mon voyage va maintenant changer d’orientation, le corps va prendre les rênes de mon désir. Demain, l’utopie au nom puéril (c’est mon opinion) de " 100 Sens 01/04/2065 ", va m'accueillir. Pendant un mois et demi, tout ne sera que grâces, harmonies, fleurs, caresses et orgies.

Me rappelant l’adage " la pudeur est le parfum de la volupté " et étant désireux d’en prendre le contre pied, je décide de passer ces quarante quatre jours entièrement nu. Orgasme visuel, musique transcendantale, réminiscence odoriférante, méditation par le contact sur cent pour cent de la surface de la peau, orgie romaine au sens quasi-littéral du terme. Je n’ai peut-être pas sondé les portes de la perception mais je les ai contemplées, j’ai frémi à leurs grincements, humé leur chêne véritable, caressé les sculptures de sa forme et goûté ce merveilleux pain d’épices.

15 mars

Mon être est tout entier frémissant. Je regarde le bonheur de façon hautaine.

16 mars

La planète où je me rends à présent : " Virtus 01/01/2066 " étant assez proche de " 100 sens ", je décide de m’initier aux joies du char à voile solaire. Atterrissage sans encombre. Une volupté inimaginable que de confondre le petit prince (personnage fantasmatique du siècle passé) avec le monde asimovien (écrivain d’anticipation du dit siècle).

Mon voyage va maintenant prendre un tour inorganique.

17 mars

" Virtus01/01/2066 " est une planète entièrement vouée à la réalité virtuelle. Le corps intégralement recouvert de stimuleurs-récepteurs, le moindre de mes capteurs sensoriel est soumis à mon imaginaire-désireux. Je revis ce début d’année avec la même délectation. Grâce aux machines, j’améliore les détails qui m’avaient paru insatisfaisant et je décuple la force de mes meilleurs orgasmes autant de fois que je le veux. Si cette réalité est virtuelle, les délices qu’elle engendre sont eux plus que tangible.

30 juin

Heureusement, la machine est faite pour que je sois apaisé avant de mourir de plaisir.

30 juillet

Même s’il est ralenti, dans l’ivresse aussi le temps passe.

7 Août

Sept jours ne sont pas de trop pour un retour (sans séquelle) à la réalité physique.

Demain, je pars pour mon avant-dernière étape, la planète " Voluptés 01/02/2067".

8 août

Dans mon programme, cette destination a pour but de me permettre de combler tous ces petits désirs que je n’ai pu étancher sur les autres planètes, et qui sont proposés ici.

9 août 3H37 du matin

On m’a réveillé, pour que mieux je me rendorme. Cela devrait être amené à se répéter.

9 août midi.

J’ai deux semaines pour faire usage de toutes les drogues connues. Je commencerai par les plus naturelles pour aller jusqu’aux drogues cérébro-informatiques.

14 août

J’ai tué cent deux orphelins, soixante veuves et violé plus de deux cents vierges. J’ai crevé des yeux et coupé des sexes, torturé des nouveaux nés.

23 septembre

Mon odyssée approche de sa fin. Il est temps que la vigueur m’empoigne. A moi " Sexus Masculus17/06/20062 ".

La bite à la main, je m’avance vers un monde tout entier " con sacré " au plaisir sexuel masculin.

24 septembre

A l’ouverture du sas de débarquement, la plus jolie fille de l’univers me prend dans sa bouche.

25 septembre

A peine vingt quatre heures que je suis ici et j’ai déjà déversé plus de foutre que peut en contenir le vagin du plus grand mammifère existant.

Ce matin j’ai rencontré un psycho-sexologue. Armé de questionnaires et tests de toutes formes, il m’a établi un programme sur mesure de jouissance extrême et progressive. Le praticien m’a également prescrit un certain nombre de drogues me rendant sexuellement inexpugnable.

25 Novembre

Comme prévu, mon quotidien est empli par l'assouvissement des fantasmes les plus enfouis dans les tréfonds de mon affect.

A mesure que le temps passe, la part de vice est de plus en plus grande. Hier, j’ai pris en levrette une jeune créature au vagin dessiné à la mesure de mon pénis, tout en regardant (après l’avoir ordonné) une trentaine d’enfants tétraplégiques se faire arracher le cœur par des prêtres fort méthodiques.

26 Décembre

Comme le nouveau né apprend la tétée, mon corps est le plaisir. J’ai baisé, re-baisé et re-re-baisé plus de filles, d’hommes, d’animaux et d’idées que l’on peut en désirer. J’ai fait l’amour à la pudeur, à la charité et à certaines théories mathématiques.

Grâce à une toute nouvelle machine, j’ai ressenti dans le même instant l’orgasme de tout individu faisant l’amour dans cet instant précis , et croyez moi, le hasard a été plus que complaisant à mon égard.

30 Décembre

Mon odyssée voluptueuse prend fin. Je suis parfaitement comblé. J’ai tout connu, tout apprécié et joui de chaque chose et de chaque instant.

D’autres après moi suivront certainement la même cambrure voluptueuse, je vous le souhaite et vous y encourage.

Que celui qui se promet une telle orgie n’oublie pas de la désirer tous les jours un peu plus avant de partir.

30 décembre 20h20

Demain en arrivant à l’Astroport du Marquis de Sade, je vais me rendre sur la plage la plus proche pour y dessiner un mandala.

Juste au-dessus du mandala une potence n’attendra que mon cou pour s’activer. L’on enfilera alors ma tête dans une boucle, l’on serrera la boucle, mon corps luttera avec mes poumons et bientôt se raidira, une ultime éjaculation…

Une mandragore s’élancera alors du centre du mandala, symbole que toute tension aura disparu, enfin, la volupté éternelle.

 

 

 

FIN

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L'auteur

 

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